Combats de Champagne (Beauséjour) d'Avril à Septembre 1918

Parcours de guerre et photos dans la Marne, de Hubert POUSSOU, Sergent-fourrier au 215e RI.

Nous remercions Claude Poussou, son petit-fils, pour la retranscription, le résumé et le partage de ces inestimables documents, et photos prises par son grand-père.

"Mon grand-père mon héros"


"Mon Grand Père reçut l’ordre de mobilisation 3 mois après son mariage. Il partit le 3 Aout 1914 avec l’intention d’immortaliser tous les souvenirs de sa future épopée. Dans ce but, il réalisa un journal de guerre en consignant tous les jours les faits marquants de ses 4.5 ans de guerre et prit un grand nombre de photos, à l’aide du premier Kodak de poche de l’époque.

Parti d' Albi dans le Tarn, son régiment connaît ses premiers combats en Alsace dès le 19 Août 1914, puis dans les Vosges jusqu'en Juillet 1917, avant de se reporter dans l' Aisne.

Ayant quitté l’Aisne en camion, Hubert débarque dans la Marne le 14 Avril 1918 à l’est de Chalon en Champagne, au petit village de Bassu aux maisons de bois et terre.

Leur régiment bien affaibli par les combats antérieurs, reçoit le renfort de jeunes recrues de la classe 18 : « les vieux poilus se font très rares » ; La compagnie marche dans cette campagne plate et crayeuse, jusqu’à Moivre pour y cantonner le soir du 18 Avril, puis, Camp Castelneau le lendemain.

Il remet aux nouvelles recrues l’équipement et munitions et ils repartent le 22 Avril pour le camp Madelin.


Le 23 Avril, son régiment relève le 281° R.I. dans la zone du camp de Suippes ;

"Cimetière du Camp de Suippes"

après avoir croisé beaucoup de cimetières militaires, il traverse avec sa compagnie les villages de Hurlus et Le Mesnil entièrement rasés, chemine dans un boyau de 3 Km de long au moins conduisant à un poste avancé face aux tranchées ennemies de Tahure entre Beauséjour et Souain.

"Entrée du boyau"

Il couche dans un abri enterré 10 mètres sous terre au P.A. la Truie légèrement à l’ouest de Beauséjour. Tout est bouleversé suite à de terribles combats antérieurs.

Hubert aux tranchées (en train de lire un courrier)

Il marche dans de vieilles tranchées peuplées de squelettes épars.

Leurs ravitaillements sont acheminés par des wagonnets sur rails enterrés, traînés par des hommes jusqu’aux cuisines.

Dans cette période, ce front est calme, parsemé de rares bombardements de part et d’autre.

Leur cantonnement initialement prévu au camp Madelin est reporté sur Molandin en 2° ligne, proche de Hurlus suite à une alerte d’épidémie qui s’y est déclarée, et fait de nombreux malades. Le train de combat stationne à Madelin.


Le 13 Mai, le bataillon se reporte au Poste Avancé Blanchard.

Hubert est aux premières lignes et découvre des entonnoirs de mines impressionnants : jusqu’à 200 m de circonférence et 20 de profondeur.

De nombreuses tranchées et boyaux y sont démolis et les nombreux squelettes des deux camps y gisent entremêlés. Au-dessus d’eux l’activité d’aviation s’intensifie. L’artillerie Française augmente la fréquence des tirs.

Les Allemands répondent par des obus à gaz. Un soldat Allemand se constitue prisonnier.

Le 19 Mai, Hubert part en permission : il prend le train à Somme-Tourbe.
Le 4 Juin, il revient et retrouve sa compagnie au repos dans le même secteur du camp de Suippes à Perthes puis à Molandin le 6 Juin.

Suite à un coup de main, 3 prisonniers Allemands sont ramenés. L’un d’eux a gardé une grenade dans sa poche qui éclate, le tuant ainsi qu’un de ses 2 autres compagnons et fait de nombreux blessés.

"Beauséjour Poste de secours" et "Beauséjour infirmier aux tranchées"

Cet infirmier n'est autre que l' Aumônier Caporal brancardier Joseph Philippe CHAMAYOU. Une page lui sera consacrée très prochainement.  


Le 11 Juin, la compagnie remonte en première ligne sur le secteur Constantinople face à Tahure. Dans ce secteur bouleversé, les déplacements et travaux doivent se faire de nuit tellement les tranchées sont exposées de toute part. Le jour, les hommes se blottissent dans des sapes enfouies 10 m sous la terre.

 

Le 14 Juin, une patrouille de reconnaissance, fait face à une patrouille ennemie : deux sous-officiers sont blessés, un soldat a disparu et un deuxième revient le lendemain. Le sous-lieutenant a tué deux ennemis qui emmenaient avec eux le caporal blessé.

Ce soir-là comme tous les autres, les mitrailleuses crachent leurs rafales. Mais pour Hubert, ce soir n’est pas comme les autres : une balle ricoche sur son casque ; Il tombe un peu sonné.

Un compagnon s’écrie « Hubert est mort ! ».

A ces mots, il reprend ses esprits, se relève, se campe sur ses jambes et réplique fermement : « Pas encore !».

Dans cet univers, la vie se joue au millimètre face aux crépitements quotidiens des mitrailleuses ennemies : « la vie est peu intéressante par ici ».

"Tranchée et entrée de boyaux"

De nombreuses « saucisses ennemies » surveillent leurs positions.


Le 22 Juin, ils sont relevés et reviennent à Molandin.

Le 27 Juin, ils sont mis au repos au camp G (Guérin). A l’intérieur même du camp, une magnifique chapelle a été construite avec le même bois que celui de l’ensemble des baraquements. Les hommes l’ont équipé d’une cloche récupérée dans les ruines de l’église du village détruit du Mesnil, proche de là.

"Camp et sa chapelle à bulbe"

Une pareille proximité d’un lieu de culte au sein d’un camp militaire, témoigne de l’importance accordée par l’armée à faciliter la pratique du culte catholique à cette époque.
Dans ces périodes de repos Hubert continue de naviguer pour réapprovisionner les Postes Avancés de Dusseris et Mitrailleuses, alors que sa compagnie fait des exercices de tirs.

Tous les soirs les hommes se livrent à des parties de football enragées.

"Partie de Foot-Ball au camp de Suippes"

8 journaux Allemands, portés par un ballon rouge, poussé par le vent, atterrissent dans le camp : merci pour les nouvelles !


Le 2 Juillet, son bataillon prend position au lieu-dit le Balcon, face à Beauséjour.

 

"Cimetière de Beauséjour"

Dès le 4 Juillet, l’activité aérienne s’intensifie même de nuit. La rumeur d’une préparation d’assauts circule dans les tranchées. Des renforts s’accumulent derrière eux : troupes et chars d’assaut. L’artillerie déclenche des tirs incessants toute la nuit. Le canon tonne devant eux de toute part, l’anxiété monte avec la crainte d’un assaut, tout en indique l’imminence. Des faisceaux lumineux rouges zèbrent la nuit en face, chez l’ennemi : que signifient tous ces signaux ?

Les coups de mains Français se multiplient : l’un d’eux ramène deux sous-officiers et six soldats ennemis. Cela peut être bien utile pour renseigner l’état-major sur les intentions du camp adverse.

"Beauséjour Colombophiles"

Le 11 Juillet, des Généraux, dont le général Gouraud, sont venus remettre des médailles et visiter les troupes. Les duels d’artillerie se poursuivent.

Le 15 Juillet, un terrible bombardement ennemi envoie des gaz. Les hommes restent masqués, les premières lignes sont enfoncées par l’attaque Allemande, des avions sont abattus.

Le 17 et 18 Juillet, son bataillon a progressé sur le fortin de Beauséjour, faisant plus de 30 prisonniers Allemands et saisissant du matériel. Il couchera sur des restes de matériel au fond d’une ancienne sape Allemande conquise. Les hommes doivent garder leur masque à gaz. La marche est très pénible dans des boyaux pleins d’eau et de boue pour rejoindre le P.C. du capitaine.

Le soir du 19 Juillet, 40 hommes du 5° bataillon ont été ypérités et sont évacués. ça tape dur à gauche vers Reims. Des bataillons Américains arrivent. L’un d’eux vient relever sa compagnie le 24 Juillet qui doit monter au P.A. Boyau Neuf.

Le secteur redevient plus calme ici, quelques rafales de mitrailleuses y persistent, et les bombardements se poursuivent à sa gauche vers Tahure et le 26 vers la bute du Mesnil où les chasseurs à pied doivent produire une attaque. Les bombardements reprennent dans la nuit.

Le 31 Juillet, il remonte en première ligne au P.A. Taupière dans une sape profonde obscure et humide et couche sur des fils de fer. Les cuisines se trouvent au ravin de Marson qui recevra des gaz le 4 Aout ;

(Champagne au ravin de Marson)

Les troupes noires Américaines tiennent les lignes à leur droite.

"Américains à Beauséjour"

"Beauséjour avec Américain"

"Américains à Beauséjour"

Le 6 Août, Hubert apprend que son frère Séverin est soigné à l’hôpital de Besançon suite à une blessure reçue le 26 Juillet.

Le 7 Août, un violent bombardement Allemand s’abat sur la première ligne ; les mitrailleuses sont également de la partie, puis la journée redevient assez calme.

Dans la nuit du 9 Août, la compagnie est relevée et va au repos à St Jean-sur-Tourbe. Le village a été assez peu bombardé. Ils peuvent se loger dans des baraques et quelques maisons abandonnées. Il ne reste que bien peu d’habitants au village. Proche de là un vaste cimetière militaire rappelle la triste réalité.

Pour autant, la vie continue : Les parties de football reprennent tous les soirs, entrecoupées d’exercices militaires pour maintenir l’esprit combatif.

Le 16 Août, les manœuvres reprennent, sous une forte chaleur, devant le Général Lebouc, qui remet ensuite des médailles, après le discours de rigueur.

Le 17 Août au soir les hommes ont droit à une soirée récréative musicale, suivi du cinéma en plein air : soirée bien agréable pour une fois !


Le 19 Août, le bataillon remonte dans une position intermédiaire à côté du P.C. Fournier. Hubert loge dans une sape profonde et très humide dans laquelle il dort mal et peu, éprouvé par un fort mal aux dents.

Le 26 Août, sa compagnie reçoit la visite du Président Poincaré accompagnés de plusieurs Généraux dont leur Général Gouraud et divers officiers d’état-major. Hubert est surpris et semble-t-il honoré d’avoir pu saluer et photographier le président de la République dans ces circonstances sur ce front, redevenu calme après la tempête des jours précédents.

Le 1er Septembre 1918, avec quelques aides, Hubert retire de vieux fusils rouillés dans les boyaux et tranchées de son secteur. 

« Généralement, avec les fusils se trouve enterré le brave poilu ; aussi les squelettes abondent un peu partout. Malheureux époux, pères de famille, portés disparus, qu’une modeste croix n’avertit pas le camarade qui passe que là repose un brave et qui pourrait renseigner la veuve et les orphelins. Ah que ces champs de morts sont tristes ! ».

 

Le 4 Septembre, un avion Français survolant les lignes Allemandes est violemment bombardé. Un éclat d’obus endommage le moteur de l’avion qui parvient à rentrer en deçà des positions Françaises et se pose sur un arbre. Les deux aviateurs sont heureusement sauvés. Dans cette période, bombardements et coups de mains se succèdent avec des succès divers.

Le 7 Septembre, le bataillon revient au repos à St Jean-sur-Tourbe et reprend ses jeux de Football en guise de distraction.


Le 10 Septembre, la compagnie, remplacée par des troupes Américaines, se retire au camp Castelnau. Le canon tonne fort du coté de Reims jusqu’à Tahure en face d’eux.

Le 12 Septembre, le Général Lebouc vient faire ses adieux et remettre des médailles.

Le 15 Septembre, la troupe embarque en train à destination de Mailly dont le camp militaire immense accueille des troupes alliées parmi lesquelles les Américains sont majoritaires. La ville est agréable mais comme il l’avait observé par ailleurs bien souvent, proche des garnisons, se développe une forte corruption. Ce terme employé par Hubert, nomme pudiquement la prostitution.

Ici aussi, les hommes occupent un peu du temps libre entre les manœuvres à jouer au football.

Les rumeurs de dissolution de son régiment se confirment : le 29 Septembre, leur commandant leur fait ses adieux. Le régiment sera réparti par moitié au 163° R.I. et au 69° R.I. Le soir même la première moitié quitte le camp.

Hubert rejoindra le 69° R.I..« c’est dur de se séparer des vieux camarades !».

Hubert repartira après une ultime permission, mener les derniers combats de libération de villes et villages en Belgique aux abords de Gent avec le 69° R.I.. Il quittera le front au bord de l’Escaut après de violents combats le 9 Novembre 1918 au soir, puis la Belgique le 26 Novembre pour entamer une longue marche de retour de 1 mois pour rejoindre Paris où il terminera son service aux armées fin Mars 1919.

J’ai eu l’énorme privilège et le bonheur de connaître mon Grand Père : il est mort entouré de sa famille, j’avais 11 ans".

Mr Claude POUSSOU
22/04/2016

(Avec son aimable autorisation)